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Aperçu du catalogue de la bibliothèque de l'IFEA

Cette note a été rédigée en tant que boursier AMI à l’IFEA en septembre 2016 a été publiée sur le blog dipnot https://dipnot.hypotheses.org/1961

Ne serait-ce que par ses locaux, la bibliothèque de l’IFEA est un lieu idéal de travail et de découverte du riche patrimoine de l’Anatolie et des régions avoisinantes. Cette note explore le catalogue de la bibliothèque afin de donner une idée de l’étendue de ses collections et de son évolution, et présente quelques-unes de ses particularités. L’approche est holistique pour souligner les tendances qui se dessinent dans la longue durée, mais elle moins spécifique que les approches par fonds adoptées habituellement1 ou les présentoirs thématiques mensuels. Créée en 1931, la bibliothèque reflète de près le développement de l’institut, fondé comme Institut français d’archéologie d’Istanbul en 1930 et devenu Institut français d’études anatoliennes « Georges Dumézil » en 1975 (voir également l’historique de la bibliothèque et les extraits d’archives de la bibliothèque). La bibliothèque abrite quelque 30 000 ouvrages (et tirés à part) et environ 10 000 volumes de quelque 700 revues. Dans cette note, seul le catalogue des ouvrages (disponible en ligne) est analysé, laissant les revues de côté. L’étude quantitative du catalogue fait face à plusieurs problèmes puisque les données ne sont pas toujours homogènes, en particulier à cause du caractère polyglotte de la collection2; une partie du catalogue, environ 2000 ouvrages, n’est donc pas analysée et les chiffres reportés sont donc à considérer comme des minima. Par contre, la profusion de langages est l’une des grandes richesses de la collection.

Une bibliothèque pour polyglottes

Le multilinguisme de la bibliothèque de l’IFEA est l’une de ses caractéristiques principales, avec un fonds dont le nombre d’ouvrages en turc (plus de 8000) équivaut presque au nombre d’ouvrages en français (figure 1). Ces deux langues sont suivies par l’anglais et l’allemand. Néanmoins, ces langues dominantes cachent une diversité formidable puisque dans les rayons se côtoient diverses langues turques (azéri, ouzbek, kazakh, kirghiz), celles du pourtour de la mer Noire (russe, géorgien, bulgare, roumain), celles du pourtour de la Méditerranée (arabe, italien, espagnol), les langues « classiques » (grec, latin, ottoman, perse), sans oublier quelques ouvrages en langues caucasiennes (laz, tcherquesse), en kurde ou en arménien.

1. Diagramme en barres du nombre d'ouvrages conservés à l'IFEA pour les 10 principales langues de rédaction (il y a près de 150 ouvrages en ottoman). CC BY 4.0 Strupler

Maisons d’édition

Le classement par maison d’édition, une catégorie bien renseignée dans la base de données, laisse entrevoir une autre particularité du fonds de la bibliothèque (figure 2). En effet, c’est la maison d’édition Les Belles Lettres qui est la mieux représentée. Cette collection témoigne du corpus important d’auteurs antiques, puisque sur les presque 900 ouvrages, la très grande majorité provient de la collection « Budé » qui comprend environ 800 volumes. Tout naturellement, les maisons d’édition turques sont bien représentées avec la Türk Tarih Kurum Basımevi (TTKB), İSİS Press (İsis), Yapı Kredi Yayınları (YKY) ou encore İLETİŞİM. Parmi les maisons d’édition françaises, on retrouve les librairies érudites De Boccard - le diffuseur actuel des publications de l’IFEA et un acteur ancien de la turcologie - et Geuthner, mais aussi de nombreuses institutions françaises comme l’École française de Rome (EFR), l’Institut français d’archéologie orientale (IFAO) - grâce à la politique d’échanges de l’Institut -, les presses du CNRS ou encore l’ancienne collection du ministère des Affaires étrangères pour la publication des missions archéologiques françaises à l’étranger Les Editions recherche sur les civilisations (ERC). Ces dernières montrent bien la fonction de relai que joue l’IFEA pour les publications françaises en Turquie et son rôle de chaînon dans le réseau des écoles et instituts français à l’étranger.

2. Principales maisons d'édition de la bibliothèque. CC BY 4.0 Strupler

Auteur.e.s

Cette catégorie n’est pas la plus simple à analyser dans la base de données, en particulier lorsqu’il s’agit d’auteur.e.s multiples et seulement les auteur.e.s uniques sont traité.e.s ici3. Parmi les auteurs les plus fréquents dans la base de données, on retrouve certes les auteurs classiques (Cicéron, Plutarque, Pline l’Ancien, Aristote, Platon, Tite Live, Sénèque), mais surtout les directeurs de l’Institut, (par exemple Louis Robert, Jean-Louis Bacqué-Grammont ou Albert Gabriel) et les chercheurs passés par l’IFEA (tels Robert Mantran, Louis Bazin, Xavier de Planhol - disparu en juin dernier) ou Georges Dumézil. Bien représentés par les notices, on retrouve les auteurs d’œuvres monumentales à tomes multiples comme l’orientaliste Joseph von Hammer auteur d’une Histoire de l’Empire Ottoman depuis son origine jusqu’à nos jours (traduite en 18 tomes, exposée dans la vitrine tout de suite à gauche lorsque l’on pénètre dans l’IFEA) ou encore Reclus Elisée (figure 3) et sa Nouvelle Géographie Universelle. Quantitativement, ce sont surtout les historiens qui se distinguent dans ce palmarès comme Ünver A. Süheyl, Claude Cahen, Galante Abraham, Franz Babinger, İsmail Hakkı Uzunçarşılı, Ekrem Hakkı Ayverdi, Reşat Ekrem Koçu, Jacob M. Landau, Bernard Lewis, mais aussi l’archéologue Salomon Reinach pour lesquelles les nombres de notices s’échelonnent entre 42 et 184.

3. Portrait d'Élisé Reclus par Nadar. Domaine Public, source BnF http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40588125j

Quelques thèmes dominants

Pour avoir une idée des principaux thèmes couverts par la bibliothèque, on peut représenter les titres en nuages de mots afin de voir quels sont les mots qui sont les plus fréquents. Les mots ont été « racinisés », c’est-à-dire que seules les racines sont conservées pour associer des mots tels que histoire et historique, mais donnant des formes qui ne correspondent pas à des mots réels comme « histoir ». Dans les nuages de mots, les couleurs et les tailles de police varient en fonction de la fréquence du mot (figure 4).

4. Nuages de mots d'après les titres en français, turc et anglais. CC BY 4.0 Strupler

Sans trop de surprises, les mots tels que histoire, turc, Istanbul, ottoman, ville, urbain, archéologie, architecture ou fouilles sont les mots qui apparaissent le plus fréquemment dans les titres. Ils sont néanmoins assez peu utilisés ensemble et leurs associations sont faibles (figure 5), hormis quelques exceptions. Les mots anglais catalogue et coins sont des mots qui sont fortement associés, renvoyant à plus de 160 entrées dans le catalogue, ou encore, ô surprise, ottoman empire (également 160 entrées).

5. Exemples d'associations entre les mots les plus fréquents des titres en turc et en anglais. CC BY 4.0 Strupler

Accroissement des collections

Même si les archives de la bibliothèque documentent les acquisitions, ces données ne sont pas disponibles dans le catalogue en ligne. En revanche, la distribution des ouvrages selon leur date de parution laisse entrevoir les grandes lignes du développement des collections (figure 6). Alors que les ouvrages antérieurs à la fondation de la bibliothèque (1931) sont peu nombreux par année, le nombre d’ouvrages par années de publication n’a cessé de croître régulièrement jusqu’en 1994 avec un pic à 900 ouvrages. Pour les dernières années du graphique, il faut considérer qu’il y a un certain décalage entre l’année de publication et l’entrée d’un ouvrage dans le catalogue. Les nombres d’ouvrages des années 2014-2016 vont donc encore largement augmenter. Néanmoins, le ralentissement de l’accroissement des collections de la bibliothèque est net et semble retomber au rythme d’acquisition des années 1970, une conséquence directe de la diminution des subventions de l’institut5. Du point de vue démographique, on pourrait dire que la bibliothèque est vieillissante.

6. Histogramme de la répartition des ouvrages de la bibliothèque par année de publication de 1800 à 2016. CC BY 4.0 Strupler

Pour se donner une meilleure idée de la répartition des livres, je les ai classés selon leur cote en 11 catégories :

  • Antiquité (archéologie, histoire ancienne, numismatique) ;
  • Classiques latins et grecs ;
  • Byzance ;
  • Islam ;
  • Usuels (dictionnaires, guides, grammaires) ;
  • Écoles et instituts français (publication EFR, IFPO, IRMC) ;
  • Transversal (mélanges, histoire - généralité, Beaux-Arts) ;
  • Observatoire Urbain ;
  • Sciences Humaines (géographie, politique, économie) ;
  • Turcologie ;
  • Inclassés (tout ce qui ne pouvait être rapidement classé d’après la cote, en particulier certaines cotes de collections).

Pour rendre le graphique plus lisible par rapport au diagramme en bâton précédent, seule la période 1931-2011 est étudiée et les catégories ont été regroupées par décennie (figure 7).

7. Histogramme des sujets des ouvrages (d'après les cotes) repartis par décennie entre 1931 et 2011. CC BY 4.0 Strupler

La tendance du nombre total de livres est donc tout à fait similaire au graphique précèdent, en soulignant bien la similitude entre les années 1970 et 2000. On retrouve des constantes dans les acquisitions, en particulier les usuels (couleur bleu), dont la valeur est assez stable, environ 80 exemplaires rentrent dans les collections chaque décennie. Les classiques latins et grecs sont par contre en grande perte de vitesse avec plus de 400 exemplaires entrés entre 1961 et 1981, mais seulement 18 entre 2001 et 2011, un reflet de la très belle collection à disposition, presque complète.

Conclusion

On ne pourra pas dénier une perte de vitesse dans l’acquisition d’ouvrage à l’IFEA, mais la bibliothèque possède des collections riches et diversifiées et dont l’évolution est aussi liée aux divers dons et les axes de recherche de l’Institut. Ainsi, des livres stockés dans la salle de travail de l’OUI ont été transférés récemment à la bibliothèque, notamment sous la cote **MIG ** (migrations), qui correspond à un petit fonds original et de forte actualité. L’accès très prochain aux catalogues des bibliothèques de recherche de Beyoğlu à travers un portail unique, bilbio.pera, (réunissant Koç University, Deutsches Archäologisches Institut, Orient Institut, SALT, İstanbul Araştırmaları Enstitüsü, IFEA et Nederlands Instituut in Turkije) va sans aucun doute aider au profilage de la bibliothèque pour trouver une ligne d’acquisition en coopération plus étroite avec les autres instituts. On ne peut donc que se réjouir de cette initiative pour que, malgré la diminution des acquisitions, la bibliothèque reste un lieu de travail et de recherche futures, avec sa spécialité française et son histoire particulière.

Colophon

Les graphiques de cette note ont été réalisés avec le logiciel libre R, et les librairies tm, RColorBrewer, wordcloud et Rgraphviz.

  1. Une présentation générale par fonds est disponible sur le site de l’IFEA, avec une note particulière pour le fonds Escalin, le fonds Observatoire urbain d’Istanbul, le fonds Yerasimos, le fonds Hüsrev Tayla, le fonds de l’Observatoire de l’Asie centrale et du Caucase et le fonds Capucins. 

  2. Même si ces dernières années le traitement informatique des caractères non ASCII s’est largement amélioré, cela reste un défi, notamment pour les systèmes qui héritent de données anciennes. Par ailleurs, certaines langues dans le catalogue sont moins bien documentées et il y a un certain nombre d’erreurs (n’hésitez pas d’ailleurs à les signaler bibliothécaire : umitsevgi@gmail.com). En dehors des langues, il y aussi le problème des ouvrages dont les informations sont manquantes (dès l’origine), par exemple lorsqu’il n’y a pas de mention de date ou de lieu de publication. 

  3. Le manque d’homogénéité dans les référencements des auteurs multiples empêche de procéder rapidement à un classement plus fin. Ce classement à le défaut de surévaluer les hommes prolifiques et travaillant seuls au XIXe et XXe siècles, et de passer sous silence les scientifiques plus enclins à collaborer, une tendance qui se développe dans la deuxième moitié du XXe. 

  4. De nombreuses notices de Wikipedia ne sont pas disponibles en français ou en turc. Avis aux traducteurs et traductrices ! 

  5. Constatée dans tous les rapports d’activité de l’IFEA depuis 2007.